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29 janvier 2025

Le marché de l’art, un « Buyers. Market »

Comment bien acheter ou vendre dans ce contexte.

Les cours records des fruits avec le melon entamé, par Chardin, (vendu pour 26,7 millions d’euros chez Christie’s en juin) ou la banane Comedian, par Cattelan, (vendu pour 6,2 millions de dollars chez Sotheby’s en novembre) ont certes marqué le marché de l’art en 2024… Comment ne pas mentionner aussi l’une des 15 versions de l’Empire des Lumières par Magritte vendue pour 121 millions de dollars en novembre chez Christie’s.

Mais ces records ne peuvent masquer un ralentissement global, déjà amorcé en 2023. Les deux grandes maisons de ventes enregistrent cette année une baisse d’activité conséquente de plus de 25% et parfois beaucoup plus selon la catégorie. Ceci est en partie dû à l’absence de collections majeures sur le marché depuis 2022.En parallèle a cette raréfaction d’œuvres majeures, qui concerne essentiellement le secteur impressionniste et moderne du marché, le volume des œuvres accessibles ne cesse d’augmenter -en particulier pour le secteur contemporain. Le climat d’incertitude général qui secoue les marchés financiers est venu aussi fragiliser le marché dans son ensemble. Nous sommes actuellement face à un marché acheteur… qui regorgent d’opportunités. 

En effet, dans le souci d’afficher de meilleurs résultats, avec des pourcentages de lots vendus élevés, les maisons de ventes ont su convaincre les vendeurs d’accepter des estimations (et donc des prix de réserve) très raisonnables voire bas, au prétexte d’attirer un maximum d’acheteurs. Le ratio prix marteau/estimation basse est actuellement en moyenne de 110% environ. Dans ce contexte d’estimations moins ambitieuses, la performance modeste est moins visible. Il en résulte surtout qu’il n’est plus rare de trouver des œuvres de qualité vendues en deçà de leur valeur attendue. Bien sûr, des estimations peuvent être pulvérisées, mais cette stratégie d’estimation attractive est devenue un pari relativement risqué pour les vendeurs et, à l’inverse, peut réserver de belles opportunités aux acheteurs. 

Sans nécessairement penser systématiquement à la revente, il faut bien reconnaitre que l’acquisition d’une œuvre d’art va être la combinaison un coup de cœur et aussi d’une réflexion quant à sa valeur future. La part de subjectif fait alors également place à des critères qui permettent d’acheter de manière rationnelle.

Comment acheter ?

L’évolution constante des ventes en ligne a projeté le marché de l’art dans une phase de démocratisation : il est de plus en plus facile d’acheter en ligne, partout dans le monde, en utilisant les différents moteurs de recherches à bon escient. Les sites proposent des alertes quotidiennes, des rappels de ventes et facilitent réellement le suivi du marché. Par ailleurs, en comparant les prix grâce aux sites qui enregistrent les prix réalisés, on peut alors obtenir une idée précise du prix du marché et ainsi identifier des opportunités d’achat.

Les stratégies d’achats évoluent avec les ventes en ligne qui ne cessent de croitre (moyennant des frais allant jusqu’à 4% si on passe par les sites généraux), mais les recettes pour bien acheter restent les mêmes. Ainsi on ne doit pas seulement faire attention a la signature, mais aussi resituer l’oeuvre dans la carrière de l’artiste, en apprécier le sujet et le traitement, la rareté, la provenance et l’état de conservation viennent compléter la liste des critères à prendre en compte afin d’éviter les écueils qui peuvent « entacher » la qualité d’une œuvre et donc son potentiel de revente. Il reste essentiel de se renseigner au préalable, si possible de discuter avec un expert, d’obtenir un rapport de conservation et il est toujours préférable de voir l’œuvre physiquement.

Repérer les lots présentés dans des petites ventes, en Province ou à l’étranger réserve souvent de bonnes surprises : l’œuvre d’un artiste vendue hors de son marché de « prédilection » va nécessairement être plus accessible. On doit alors prendre aussi en compte toute la logistique du retour du lot, et des couts de transport. Par ailleurs, certains jours de la semaine, et mêmes heures de vacations sont plus propices pour de bons achats. Enfin, on peut encore de profiter du rythme d’une vente, que ce soit en présentiel pour les ventes en ligne, les œuvres en fin de vente par exemple sont moins « visibles ». 

Selon le secteur on peut adopter différentes stratégies. Dans le secteur des tableaux anciens, depuis longtemps déjà, les prix sont raisonnables et permettent d’acquérir une œuvre de qualité sous la barre des 50’000 euros. Des écarts de prix du simple au quadruple se constatent sur des œuvres de qualité semblable (paire de Guardi, Audap, Novembre et Décembre 24)

Pour les artistes du 19e, des résultats encore plus spectaculaires peuvent surprendre pour des artistes, encore parfois sous quotés, comme pour le symboliste Lucien Lévy Dhurmer dont une peinture est ravalée en dessous de 12’000 euros (le Sage dans la Montagne, Collin du Boccage Novembre 24) tandis que quelques semaines plus tard, un pastel se négocie pour 1 millions de livres (le Bassin d’Apollon, Sotheby’s Décembre 24). Certes, ces deux œuvres ne sont pas de qualité égale, mais un tel écart peut susciter l’intérêt et questionner l’opportunité d’une offre après-vente pour l’œuvre restée invendue. Ces occasions ne sont décelables qu’avec un suivi très régulier du marché et le rôle d’un conseiller est là encore, souligné.

Se concentrer selon le budget sur les maîtres modernes confirmés reste possible en s’intéressant aux œuvres sur papier, qui resteront une réserve de valeur susceptible de s’apprécier. Pour ne citer que l’exemple de Picasso, pour moins de 10’000 euros on peut maintenant trouver une pointe sèche (Koller, Salomé, Novembre 24), moins de la moitié de son prix l’an passé.

ou même un beau petit crayon de Picasso (Artcurial, portrait, décembre 24). Encore récemment, pour de telles œuvres les prix atteints étaient bien supérieurs. 

Autre exemple, pour moins de 50’000 euros, on peut trouver certaines bonnes feuilles de Matisse. Indiscutablement ces œuvres continueront de s’apprécier. Mais c’est aussi en cherchant des noms plus confidentiels, parmi des artistes moins connus, que l’on peut trouver des pépites.

Pour les œuvres d’artistes contemporains, le constat est le même. Des multiples peuvent aussi être de bonnes acquisitions. Mais c’est davantage vers le premier marché qu’il faudra s’orienter. En faisant alors confiance à un coup de cœur. Les foires, comme le prochain salon Art Genève sont, à côté des résultats des ventes aux enchères, un bon indicateur de la santé du marché de l’art. Il reste cependant plus difficile à décoder car il n’y a pas de résultats agrégés officiels et le taux de fréquentation seul ne permet pas d’évaluer précisément les volumes de transactions. 

Chouette par Abel Abdessemed, 1’800 euros, Millon, Décembre 2024

En 2025, on devrait retrouver toutes les caractéristiques d’un marché acheteur réserveront encore d’excellentes opportunités.  Mais le marché de l’art reste difficile à déchiffrer et pour bien acheter aux enchères, plus que jamais, on doit observer de nombreuses règles et le processus peut être long. Dans ce contexte, le soutien d’un conseiller est essentiel.

Comment bien vendre dans ce contexte.

Dans le cas d’une vente il est également précieux d’être accompagné par un professionnel et de s’appuyer sur une solide connaissance du marché des enchères pour maximiser l’adjudication sans risquer de voir son lot « ravalé » (n’atteignant pas le prix de réserve)et donc moins désirable pour une vente future. Le prix de réserve qui sera établi en accord avec la maison de vente (pour mémoire, toujours inférieur ou égal à l’estimation basse), sera déterminant. Il faut en discuter avec le spécialiste et définir le prix qui rendra l’œuvre attractive sans risquer de la voir « soldée ».

Pour obtenir des conditions de ventes favorables, il faut comparer les offres de quelques maisons. Les frais perçus par les maisons de ventes peuvent varier considérablement (entre 0 et 25%, voire des frais négatifs pour des lots d’exception), et savoir négocier avec la maison de ventes s’apparente à mener « un concours de beauté ». Choisir la bonne maison, en privilégiant parfois une maison locale, qui réservera une place proéminente à un lot peut être judicieux

Enfin, plus que jamais, les maisons de ventes développent activement le créneau des ventes privées, ajoutant une certaine opacité au marché.  C’est souvent une option intéressante pour les œuvres importantes afin d’éviter de rendre trop visibles d’éventuelles difficultés de ventes. Ici encore, l’expérience d’un conseiller et son réseau d’acheteurs permet de vendre efficacement et avec discrétion.

Jean-René Saillard – Janvier 2025